Itinéraire d'un authentique pilote de Brousse...

...ou la vie hors du commun de Jean-Jacques Béalu-Louvel.

A Couhé, sur l’aérodrome, il fait partie du « paysage ». On le reconnaît à sa combinaison bleu-ciel, ornée de badges. Savez-vous que derrière cette façade d’homme tranquille se cache un vrai baroudeur ? …

Il connaît une enfance sereine, ce n’est qu’à 23 ans qu’on lui révèle un secret de famille : Son père n’est pas celui qui l’a élevé et dont il porte le nom , Il est en fait le fils de Francis LOUVEL, résistant de la France libre, agent de renseignement, arrêté par la GESTAPO, et fusillé à Angoulême, où une place porte désormais son nom.

Il garde lui même le secret jusqu’en 2005, où il le livre à son entourage.

A 15 ans, il apprend à piloter, et à 19 ans sera appelé en Algérie comme pilote dans l’ALAT, sur CESSNA L 18 puis L 19. En fin de séjour, ses cinq cents heures d’opérations en territoire hostile lui valent la croix de la valeur militaire.

S’enchaînent alors divers emplois : aux éditions Dunot qui publient des ouvrages techniques sur l’aviation ; il est instructeur à St Cyr L’Ecole, aux Mureaux. Il crée la boutique Aéro-Shopping à Paris, puis reprend l’instruction du pilotage à Brive la Gaillarde et à La Rochelle.

Nous sommes en 1969, et, sur une annonce, il part au Quebec pour 4 mois, passe tous les examens théoriques et pratiques jusqu’à l’IFR. Mais les diplômes ne suffisent pas à ouvrir les portes des compagnies locales. Il vendra des casseroles, des livres, de l’immobilier ...

Il reprend l’instruction en aéroclub, à St Hubert et au Lac St Jean. Il obtient une qualification sur DC3 et devient co-pilote à « St Félicien Air Service ».

Chantal le rejoint et repasse elle même sa qualification d’infirmière « version canadienne ».

Une compagnie un peu plus en vue lui fait appel : la « Northen Wings ». Un recrutement express : appel téléphonique, test en vol dès le lendemain après avoir traversé la moitié du Québec en voiture, co-pilote en ligne le jour même.

Trois ans passent et Laetitia voit le jour ...

Pluie verglassante, pistes sommaires, tempêtes de neige seront le lot presque quotidien de cette période.

En 1976, il revient à La Rochelle où il monte une société de taxi « Auto Service ». L’appel de M. Riondel, président de l’aéroclub de Couhé , met un terme à l’aventure. Il devient Chef Pilote d’un club en effervescence qui comptera jusqu’à plus de 100 membres. L’esprit Brousse le titille encore , il initie le vol de nuit aux « Goose-Neck » (de simples lampes à pétrole). Allez-faire homologuer çà aujourd’hui !

Le club connaît des difficultés à partir de 1985. Jean-Jacques vole en instructeur bénévole, tout en vendant des piscines ….

En 1986, il part en Guyane, pilote sur CESSNA 206 au profit de la mine d’or de Paul Isnard … écoutez plutôt …


CESSNA 206 en Guyane Française« La mine Paul Isnard appartient à deux frères français tourangeaux. Située sur l’axe St Laurent du Maroni / Maripasoula, elle représente un village d’une centaine de personnes (brésiliens, surinamiens, indiens de Guyane, quelques cadres métropolitains). Initié sur place par un pilote expérimenté, je me suis vu proposer des contrats de 3 puis 6 mois.  La piste était sommaire, en pente, parsemée d’ornières et de cailloux,, et faisait seulement 300 mètres de long. C’était une trace de latérite damée par le passage des camions de l’entreprise … En haut de la piste, un fromager, arbuste tropical de 70 mètres de haut , servait d’arrêtoir avant le vide ! Et tout autour : la forêt amazonienne, impénétrable.Mine d'or en Guyane Française


Camp en Guyane FrançaiseSur place, la vie était rustique , mais, les cases bénéficiaient de groupes électrogènes, donc de réfrigérateurs et d’un confort minimal. Le CESSNA 206 était toujours en légère surcharge : passagers, vivres frais achetés au marché … On ne refuse pas les services à ceux qui sont loin de tout ! Ces vols de ravitaillement de la mine prenaient 40 minutes, là où presque 10 Heures de pirogue auraient été nécessaires … 40 minutes intenses en monomoteur au dessus de ce « Persil Menaçant » où aucune survie n’est possible en cas de crash ! Peu de repères dans cet océan de verdure : quelques mouvements de relief, un coude de rivière, mais surtout le cap et la montre ! et la météo de Guyane : chaleur étouffante, humidité oppressante, stratus au ras des arbres, orages, fronts pluvieux… Quand la piste est en vue, pas d’incertitude : on se pose toujours en montant, en rasant la cime des arbres.Mine d'or en Guyane Française

Piste en Guyane FrançaiseLe décollage se fait en descente, immuable et toujours angoissant ! Pas de contact radio sauf avec la mine en HF, et puis l’arme, indispensable, surtout une fois par mois quand on transporte les lingots coulés sur place, vers le siège à St Laurent du Maroni. Adrénaline assurée … »

A son retour, il intègre l’Ecole de pilotage d’Amaury de Lagrange pendant trois années, puis il donne dans la brocante tout en continuant à voler à Couhé, où il fait encore profiter les plus jeunes de sa longue expérience.


Souhaitons bonne chance à ceux qui vont avoir en charge d’établir le montant de sa retraite, une longue traque aux justificatifs attend notre baroudeur … Mais une certitude : Naéma , qui vient de naître ces derniers jours pourra bientôt, le soir ,à écouter les longues histoires d’un grand père pas ordinaire.

Alain Hugault

Propos recueillis par Catherine Hugault